Amélie Mansfield[Volume I, pp. 106 - 110] LETTRE XI.[p. 106] Ce soir, en causant avec Madame de Simmeren sur quelques détails de sa vie qui lui était échappés dans nos [p. 107] autres conversations, elle m'a appris que M. de Simmeren était un officier-général qui commandait en Hongrie dans la dernière guerre; qu'ayant été tué à la tête de ses troupes, avant d'avoir pu faire aucune disposition en faveur de sa veuve, qu'il laissait sans enfans, toute sa fortune était passée a des parens éloignés; qu'elle n'avait eu pour son partage que la jouissance de la terre de Simmeren, et que cette propriété, quoique vaste, était d'un si faible revenu, à cause des fôrets et des bruyères qui la composent presqu'en totalité, que, sans les dons de Madame de Woldemar, elle n'aurait pas eu de quoi subvenir aux dépenses qu'Adolphe est obligé de faire, comme le compagnon et l'ami d'Ernest. C'est donc à Madame de Woldemar qu'elle doit son honneur, sa vie et l'existence de son fils; et pour l'avancement de celui-ci, quand il reviendra à Dresde, c'est encore sur sa protection qu'elle compte. De si nobles procédés ne m'ont point [p. 108] étonné; je sais que ma tante a toujours regardé la générosité comme un des premiers devoirs de son rang; mais ce qui m'a touchée, c'est le mystère dont elle a entouré ses bienfaits. Jusqu'à présent j'avais toujours ignoré que ses relations avec Madame de Simmeren fussent de cette nature; je crois même qu'elle ne l'a jamais confié à personne de la famille, et j'aime bien que ce secret, qui est un bienfait de plus, ne m'ait été révélé que par celle qui en est l'objet. Comme je parlais de la bonté de ma tante avec attendrissement, Madame de Simmeren m'a serré la main en disant: "Quel dommage qu'il n'y ait pas dans le coeur de Madame de Woldemar autant d'indulgence que dans le vôtre, et qu'elle ne puisse pas oublier une erreur! vous pourriez être heureuses encore toutes les deux. -- Eh! Madame, ai-je repris, pourquoi ma tante ne le serait-elle pas? son fils va revenir; on dit que son caractère n'est plus le même, que, grâce aux [p. 109] conseils et à l'amitié de M. de Reinsberg, il s'est fait en lui les changemens des plus favorables. Ce retour comblera tous les voeux de sa mère, et alors le souvenir de celle qui l'a tant offensée ne pourra pas troubler son bonheur. -- Et quand il faudra qu'elle choisisse une épouse pour son fils, croyez-vous qu'elle puisse s'empêcher de penser à celle qui lui fut destinée? et cette comparaison lui permettra-t-elle d'en trouver jamais une assez aimable? -- Ah, Madame! ma tante ne me voit point avec tant de bienveillance: elle me hait trop pour me regretter. -- Tenez, Amélie, a-t-elle répondu en ouvrant son bureau, voici une lettre de Madame de Woldemar qui répondra précisément à ce que vous dites: elle est écrite depuis votre départ de Dresde; lisez-la, vous verrez ce qu'elle pense de vous, et cette phrase remarquable: "Quand je songe à ce qu'elle était, et que je vois ce qu'elle est [p. 110] devenue, je sens qu'il n'y a que ma haine qui puisse égaler mes regrets." Je me suis retirée pour lire cette lettre: j'ai voulu t'écrire tout ce que j'en pensais, mais j'ai trouvé plus simple de t'en envoyer une copie: elle te dira, mieux que je ne pourrais le faire, tout ce que j'ai dû éprouver à cette lecture. |