Amélie Mansfield[Volume I, pp. 116 - 118] LETTRE XII[p. 116] J'ai quitté Madame de Simmeren depuis deux jours, et avant peu j'espère [p. 117] être à Bellinzona. Depuis mon départ je n'ai point eu de tes nouvelles, je n'en trouverai que chez mon oncle; aussi suis-je si impatiente d'arriver, que je regarde comme perdus tous les instans que je donne au sommeil; et si la santé de mon fils ne me prescrivait pas m'arrêter chaque soir, je ne voudrais quitter ma voiture que pour descendre là où tes lettres m'attendent. Je me félicite d'avoir échappé à Madame de Simmeren; je ne connais pas de femme plus séduisante, et avec qui je voulusse moins vivre: elle a quelque chose de si vif et de si mobile dans l'esprit, qu'elle ne laisse pas un moment de repos; elle vous promène d'opinions en opinions, saisissant d'un coup-d'oeil tous leurs rapports, discutant le pour et le contre avec la même facilité, et se contredisant avec tant de franchise, quon est presque tenté de préférer les inconséquences de cette imagination en désordre, à la sage réserve d'un esprit [p. 118] juste; enfin, si elle inquiète par la nouveauté de ses principes, elle séduit par le charme qu'elle y prête; si elle éloigne par ses caprices, elle ramène par ses caresses; et tout en inspirant une secrète défiance sur la solidité de son caractère, force le coeur à l'aimer en dépit de la raison. Laissons Madame de Simmeren, Albert; je t'assure que la société de cette femme m'a fait mal, et que son souvenir ne me vaut rien; elle a jeté dans mes idées une inquiétude plus pénible que la tristesse même, et j'ai besoin d'oublier qu'il est des êtres dans le monde qui, au bout d'une longue carrière, se rappellent leurs fautes avec complaisance, parviennent presqu'à les faire aimer, et loin de s'en repentir, trouvent dans le bonheur dont elles furent la source, de quoi embellir le soir de leur vie. |