Amélie Mansfield[Volume I, pp. 124 - 128] LETTRE XV[p. 124] Madame de Simmeren a fait une indiscrétion, en te communiquant la lettre que tu m'envoies; mais c'est une femme qui, dans toutes les occasions de sa vie, n'a jamais cédé qu'à son premier mouvement, et qui n'a prévu les conséquences du mal qu'elle faisait, que quand il était sans rémède; cependant je désirerais, pour son bonheur, qu'elle n'eût jamais commis d'imprudence plus grave que celle-ci. Qu'as tu trouvé dans cette lettre, pour t'affliger si vivement? La haine de Madame de Woldemar t'était bien connue; et quant au mouvement de peine que j'éprouvai en apprenant ton mariage, c'est une de ces faiblesse de l'orgueil dont ton frère n'est pas [p. 125] exempt, et qu'il faut bien que tu lui pardonnes. Toi, qui te plais à mes croire parfait, tu n'aurais jamas pensé que, pendant quelques instans, je fus plus touché de la honte de ta mésalliance, que de la crainte de ton malheur; et si je t'ai toujours caché l'état où je fus alors, c'était moins pour me montrer à tes yeux meilleur que je ne suis, que pour un pas t'affliger, en te laissant voir combien il m'en coûtait de donner le nom de frère à M. Mansfield. Ah! si j'avais cru n'empêcher que ce mariage, en te confiant mon attachement pour Blanche, je t'aurais ouvert mon coeur; mais je te connaissais: tu n'aurais cru assurer mon bonheur qu'en t'unissant à Ernest; et malgré la répugnance qu'il t'inspire, tu l'aurais fait. J'ai redouté ta générosité et je ne sais si ce n'est pas une grande consolation dans nos peines, qu'elles ne nous soient venues que pour nous être trop aimés. Mais calme ton repentir [p. 126] mon amie: à qui ton mariage a-t-il plus nui qu'à toi-même? Pour quoi, dans le souvenir des maux dont il fut la source, n'oublies-tu que ceux qu'il t'a faits? Ah! ce n'est pas à la victime à éprouver des remords! Je connaissais l'histoire de Madame de Simmeren: quelques années avant la morte de mon père, je fus mis dans cette confidence par Madame de Woldemar, qui avait besoin d'un ami sûr, pour envoyer chez sa cousine certains détails relatifs à la naissance d'Adolphe. Ce fut là le véritable motif de mon voyage en Souabe, et la seule occasion que j'ai eue de voir Madame de Simmeren. Je la jugeai à peu près comme toi, masi elle me plut beaucoup moins. Je n'ai jamais pu souffrir ces gens dont la conscience vit en paix avec leurs fautes, surtout lorsqu'ils se donnent, aux caractères faibles et aux imaginations vives, comme un modèle à suivre. J'avoue que la tranquillité de Madame de Simmeren, au milieu [p. 127] du désordre de sa conduite, m'a toujours indigné. C'est le dernier degré de la corruption que d'y vivre sans honte, et de préférer cette paix criminelle, qui est comme la morte de l'âme, au remords salutaire qui nous repousse vers la vertu, et en est le supplément, si la vertu peut en avoir. Tu demandes où sont les punitions du vice et les récompenses de la vertu, et tu n'espères les trouver que dans le ciel: sans doute, Amélie, tu les y trouveras, mais elles sont aussi sur la terre; attends encore quelque tems pour juger cettte grande question; attends d'avoir lu au fond des âmes, si ce n'est pas là que le vice nourrit en silence ses plus cuisantes douleurs, et que la vertu a placé ses plus doux plaisirs; attends d'avoir vu un coupable sur son lit de mort, et d'avoir comparé sa fin avec celle de mon père; attends, Amélie, attends les derniers jours de Madame de Simmeren, et alors seulement tu pourras juger si Dieu nous a trompés, [p. 128] en écrivant ces mots dans nos coeurs: Sois sage, et tu seras heureux. |