Amélie Mansfield[Volume I, pp. 187 - 190] LETTRE XXV[p. 187] C'est de chez Amélie que je vous écris, Adolphe, et maintenant que le hasard a fait réussir mon projet, au-delà de mes espérances, il est tems que je vous le confie. Je comprends votre surprise, elle est très naturelle: je m'attends à votre mécontement, et j'y suis préparé. Cet aveu vous étonne, [p. 188] car si ce n'est pas la première fois que j'ai mérité votre désapprobation, c'est du moins l'unique où je me sois décidé à la braver. Mais que voulez-vous, Adolphe? quand j'ai senti qu'il n'était point de force qui pût vaincre les faiblesses de mon orgueil, ni d'amitié qui pût vous engager à les tolerer, j'ai dû soustraire mon inébranlable résolution à l'âpreté de vos remontrances, et cacher à un censeur sévère ce qu'il m'eût été si doux confier à l'indulgence d'un ami. Ne croyez, Adolphe, que je vous accuse, pour affaiblir mes torts, je n'userai jamais de cette misérable finesse; si je me plains de vous au moment où je m'avoue coupable, c'est parce que je suis sûr qe vous aurais ouvert mon coeur, si j'eusse espéré trouver en vous moins de cette roideur de caractère, de cette inflexibilité de principes qui ne pardonne jamais le plus léger écart: peut-être avec plus de douceur, la sagesse de vos conseils que j'ai quelque-fois rejetés [p. 189] dans les premiers momens, et que j'ai toujours fini par suivre, m'aurait-elle préservé d'une grande faute; quoi qu'il en soit, il n'est plus tems, et maintenant votre secours me serait inutile: je suis chez Amélie . . . . Poussé par un ressentiment que je nourrissais depuis plusieurs années, j'arrive pour me venger, et c'est elle qui me sauve la vie; je la vois, et il semble que la plus puissante des séductions m'attendît à ses côtés, comme pour me punir des projets que je méditais contre elle . . . . Je ne sais comment tout ceci finira; je suis ici sous le nom de Henry Semler, simple gentilhomme bavarois; je ne puis assez cacher mon véritable nom; de quel oeil Amélie ne me regarderait-elle pas, si elle apprenait qu'Ernest, l'objet de son aversion, est celui à qui elle prodigue des soins si touchans! . . . Je l'ai donc vue, cette femme, que j'étais si curieux de connaître . . je n'essayerai pas de vous la peindre aujourd'hui; j'ai la fièvre, et ce que je [p. 190] pourrais dire d'elle, vous paraîtrait l'effet d'une imagination en délire; d'ailleurs, il m'est expressément défendue d'écrire; aussi attendrai-je quelques jours, pour vous donner sur ma conduite une explication que sera longue: Philippe vous l'apportera: il sera alors en état de partir, et je vous l'enverrai; car malgré ses promesses, je redoute son indiscrétion. |