Amélie Mansfield

[Volume II, pp. 44 - 47]

LETTRE XLIII



Amélie à Albert


10 Mai, au soir.

[p. 44] Je quitte un moment le bal pour venir me reposer et te dire que je suis bien mieux que ce matin. Je ne sais ce que sont devenus mon agitation et mon effroi [p. 45]; mais en voyant M. Semler, en trouvant sur sa physionomie une expression plus tranquille, jai senti la paix rentrer dans mon âme; et quand il m'a parlé, quoique ce fût avec une profonde tendresse, je n'ai été que doucement émue. A dîner, mon oncle a exigé qu'il se plaçât à côté de moi. "Le sauveur de mon Amélie ne doit jamais la quitter, nous a-t-il dit tous bas, et en pressant nos deux mains dans les siennes. -- O M. Grandson! qu'osez-vous dire? s'est écrié M. Semler; ne jamais la quitter! Non, elle ne le voudrait pas. -- Répondez-lui, mon enfant, ma [sic] dit mon oncle. Vous voyez que je me le puis; Madame d'Elmont m'attend, et Madame de Nogent m'appelle." Il nous a laissés alors; ma main était encore dans celle de M. Semler: il l'a serrée. "Amélie, m'a-t-il dit, pardonnez-moi ma conduite d'hier: je vous ai bien effrayé, je vous ai fait mal; j'ai passé les bornes que vous m'aviez prescrites; mais [p. 46] comment vous voir, vous connaître, et demeurer votre ami? N'importe, j'aurais au moins dû me taire. -- Je vous pardonne, lui ai-je dit; mais si mon repos vous est cher, jusqu'à votre départ, qu'il ne soit même plus question d'amitié; vous avez su la rendre trop dangereuse. -- Je vous le promets Amélie; il n'y a que ce sacrifice qui puisse réparer mes torts." Je lui ai fait signe que j'acceptais son engagement, et nous avons été nous mettre à table. Depuis ce moment, une aimable securité a remplacé la confusion des idées: je me suis occupée de tout le monde sans effort, j'ai pris du plaisir à tout; il me semblait qu'en me reconciliant avec M. Semler, j'étais contente de moi-même et en paix avec toute la nature . . . . Mais j'entends la voix de mon oncle; il s'inquiète de mon absence, il m'appelle. Adieu, mon frère.

P. S. Nous partons demain pour les îles Borromées: l'intention de mon [p. 47] oncle et de ces dames est, je crois, d'y passer une quinzaine de jours, afin de visiter à leur aise les bords charmans des lacs Majeur et Lugano: M. de Semler ne compte pas y faire un si long séjour, et je te promets de ne pas lui dire un mot qui l'engage à le prolonger. Mon frère, cette volonté me déchire le coeur; mais n'importe, elle m'est chère, car c'est à toi que je la dois.


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Page Last Updated 10 February 2004