Amélie Mansfield[Volume II, pp. 47 - 52] LETTRE XLIV[p. 47] Elle m'aime, Adolphe; ne me parlez plus de devoir, d'avenir; le devoir est de l'adorer, l'avenir de conserver mon amour: elle m'aime, cela me [p. 48] suffit, et je suis heureux. Après avoir passé la journée d'avant-hier dans un état assez violent pour croire que je lui inspirais de l'éloignement et de la terreur, l'excès de son émotion changea tout à coup mes idées, et ne put me laisser aucun doute sur le cause de son agitation: j'éprouvai alors une ivresse délicieuse qui dure encore, et dont je ne veux jamais sortir. Ne craignez point, Adolphe, que je cède à mon amour; non, j'ai juré à Amélie elle-même de ne lui en jamais parler: mais je le nourrirai en silence; mais, assis auprès d'elle, sans lui demander l'aveu de sa tendresse, j'en recueillerai l'expression, je la verrai dans ses yeux, dans son maintien, dans ses moindres gestes: que faut-il de plus à mon bonheur? Ah! la possession des plus belles femmes de la terre ne pourrait égaler celui-là. Je ne puis vous exprimer ce que je ressens; je n'aurais jamais cru qu'on pût se livrer à sa perte avec tant de ravissement: je [p. 49] vois bien le précipice vers lequel ma passion m'entraîne; ou, je le vois et je me plais à y tomber; je fais mes délices de le creuser de plus en plus, et je ne serai parfaitement heureux que quand je serai perdu sans retour; alors il n'y aura plus de combat, plus de devoirs, plus de conscience, je serai tout à elle: que manquer-a-t-il à ma félicité? Adolphe, ne venez point m'éclairer de votre funeste lumière; au nom du ciel, laissez-moi mon aveuglement, c'est mon unique bien, ne me l'enlevez pas; ne me parlez plus de rang, de naissance, Amélie est avant tout; ne me parlez plus de ma mère, je ne veux aimer qu'Amélie . . . . O Adolphe! si vous saviez sous combien de formes elle sait se faire adorer; si vous saviez comme la noble pudeur, la tendre émotion, la touchante sérénité se peignent alternativement sur ses traits célestes; si vous connaissiez le charme de son sourire, la puissance de son regard; si vous contempliez cette [p. 50] union de la mélancolie et de la vivacité, ce maintien si décent et ces formes si voluptueuses; si vous la voyiez rougir et s'effrayer au nom d'amour, tandis qu'elle le porte dans ses yeux, dans son coeur, que tout en elle le décèle et l'inspire; si vous vous aviez l'objet de cet amour, qu'elle ne repousse que par le pressentiment douloureux des maux qui attendent une sensibilité exquise: si vous étiez de toutes parts pressé d'une séduction telle, que nul nomme n'a reçu du ciel assez de force pour y résister, et que vous fussiez prêt à céder, croyez-vous qu'il fallût vous accuser d'être faible et sans courage? et pourtant, Adolphe, votre ami lutte encore. Si j'ai osé serrer cet ange entre mes bras, ce délire n'a duré qu'un instant, je lui ai juré de garder le silence sur ce qu'elle crainte d'entendre; et depuis, fidèle à mon serment, je la vois, je la contemple, je l'adore, et je me tais: mais ce n'est pas l'effort d'une vaine et froide raison qui m'empêche [p. 51] de lui parler; non, ce qui me retient vient de quelque chose de plus tendre, de tendre, comme tout ce qui émane d'elle. Ce soir, quand nous errions tous deux seuls au sien de ces montagnes majestueueses que refraîchissent les plus belles eaux, qu'ombrage la plus épaisse verdure, que tapissent le thym et le serpolet, et qu'enivré des parfums de ces plantes aromatiques qui allument le feu de la volupté dans tous les êtres qui respirent la vie, je sentais en touchant le vêtement d'Amélie, que mon cour brûlant ne pouvait plus maîtriser son trouble, et que ma raison allait s'égarer . . Elle m'a regardé, et ce regard touchant, ce oeil humide, qui semblaient demander grâce, ont suspendu le cri qui allait m'échapper; je croyais l'entendre me dire: "Arrête, sauve-moi des douleurs qu'une passion me prépare; il ne me faut peut-être qu'un mot pour m'emporter loin de moi: ah! je t'en conjure, par pitié ne le prononce pas." [p. 52] Va, ne crains rien, femme angélique: de quelques désirs que je sois dévoré, en voyant ce besoin d'amour qui circule dans tout ton être et embellit ta beauté même, je me tairai: je ne suis qu'un mortel; et quel mortel oserait espérer te rendre tout le bonheur qu'il tiendrait de toi? Ah! vis en paix, beauté céleste, les feux que tu allumes sont purs comme toi-même, et ton amant saura sacrifier l'inexprimable félicité de te faire avouer ton amour, à la crainte de voir couler une de tes larmes. |
1 Sur le bord du lac de ce nom, à une très-petite distance du lac Majeur.