Amélie Mansfield

[Volume II, pp. 52 - 54]

LETTRE XLIV [Continuation I]



Ernest à Adolphe


Lugano, 12 Mai, quatre heures du matin.

[p. 52] C'est en vain que je cherche le repos: je n'en puis plus connaître; mon sang est embrasé, et la tranquillité de la nuit empire mon mal: je me figure qu'elle pourrait être là; je crois la presser sur mon coeur; les cieux s'ouvrent . . . . mais je me retrouve seul, et le désespoir s'empare de moi. J'ai voulu aller chercher de la fraîcheur [p. 53] dans les ondes du lac qui coule devant nos fenêtres; mais tout dormait dans la maison; j'ai craint, en appelant, de troubler le repos d'Amélie, et le ciel sait si son repos m'est cher: n'est-ce pas à lui que je sacrifie le plus ardent de mes voeux, ce besoin d'être aimé d'elle, cette soif de la posséder? . . . . Mais, que dis-je? si ce n'est pas le devoir, si ce n'est pas ma mère qui m'arrêtent, qui peut me retenir? En me donnant sans réserve à Amélie, pourquoi craindrais-je pour son bonheur? . . . . O Adolphe! je n'aime point Amélie comme elle mérite d'être aimée, puisqu'il est dans mon âme une autre puissance que la sienne: elle seule devrait y régner en souveraine . . . . Oui, je hais, je déteste tout ce qui s'efforce de l'en chasser: la raison, l'honneur, ma mère . . . . ah! malheureux! qu'oses-tu dire? Ta mère qui, depuis ton enfance, n'a respiré que pour toi, dont la santé a été détruite en partie par la conduite de cette Amélie que tu ne crains pas [p. 54] de lui préférer; ta mère qui t'attend, qui te donnerait sa vie avec joie, et que tu récompenses de sa tendresse en la trompant et la maudissant! . . Adolphe, je me sens si combattu, si repentant, si déchiré, si faible, que le plus grand bienfait du ciel serait de m'ôter ce peu de raison qui me reste et qui ne sert qu'à me montrer l'étendue de mes torts, sans me donner la force de les surmonter.


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Page Last Updated 11 July 2003