Amélie Mansfield[Volume II, pp. 67 - 70] LETTRE XLVII[p. 67] J'espère enfin que vous serez content de votre ami: je suis déterminé à ne pas rester ici un jour de plus: je partirai cette nuit même, je partirai sans parler à personne, et sans dire adieu à Amélie; j'ai fait arrêter une voiture et transporter tous mes effets; j'irai vous joindre à Constance, où [p. 68] vous devez être maintenant, et où je vous adresse cette lettre: attendez- moi quelques jours, afin que nous nous rendions ensemble chez Madame de Simmeren, et de là à Dresde. O Adolphe! que j'ai-je lu plutôt l'histoire d'Amélie! il y a long-tems que je ne serais plus ici: je ne la demandais pas; pourquoi son oncle me l'a-t-il donnée? Hier matin, après m'avoir parlé de son amitié pour moi, avec une grand affection, il a tiré ce funeste cahier de sa poche. "Vous savez qu'elle l'a permis, m'a-t-il dit, mon ami: lisez cet ècrit, je veux que vous connaissiez parfaitement mon Amélie." Au moment où j'ai pris ce papier dans ma main, j'ai senti un froid mortel se glisser dans mes veines; il me semblait que je venais de recevoir l'arrêt de ma mort, et que le moment, de la séparation était là. De tout le jour, je n'ai pu me résoudre à ouvrir ce sinistre papier: chaque fois que je le touchais, en mettant la mains dans ma [p. 69] poche, je sentais le même frisson parcourir tout mon corps, et l'imagination frappée de tout ce qu'il contenait, à côté même d'Amélie, je croyais déjà avoir cessé de la voir; enfin, cette nuit, ne pouvant trouver un moment de sommeil, je l'ai lu . . . . Ne me demandez point ce que j'ai éprouvé, il me serait impossible de le dire: ce n'est point de l'amour qu'elle a eu pour M. Mansfield, et je ne lui pardonne point de s'être livrée à un homme avec un sentiment si faible; mais, hélas! si elle avait été entraîné par une passion violente, telle qu'elle l'éprouve peut-être à présent, je sens bien que je lui pardonnerais moins encore. N'importe, je n'épouserai jamais une femme qui a désiré l'amour d'un autre homme, qui a été émue, par ses discours, qui s'est vue dans ses bras sans chagrin, et qui a pleuré son inconstance. Qu'elle garde ses souvenirs, qu'elle pleure sur eux, qu'elle embrasse l'image de son époux dans le fils qu'il lui a laissé; elle est [p. 70] libre, je ne lui reproche point ces plaisirs, mais je n'en serai point le témoin. Adolphe, je suis décidé à quitter Amélie, et je ne verse pas une seule larme: il y a tant d'oppression sur mon coeur, et une telle ardeur dans mon sang, que si cet état devait se prolonger au delà de quelques jours, je ne crois pas que ma vie pût y résister. |