Amélie Mansfield[Volume II, pp. 92 - 96] LETTRE LIII[p. 92] J'étais contente ce matin; il avait embrassé mon fils; il semblait l'aimer: oh! quel bonheur de le voir prodiguer ses caresses à mon enfant! et quel torrent de joie inondait mon coeur en remontant [p. 93] à la cause d'un si doux changement! Je contemplais ce spectacle avec ravissement, lorsqu'on lui a porté des lettres: en les ouvrant, il a pâli, il a tremblé, et, après en avoir lu quelques lignes, il m'a quitté brusquement: depuis, je ne l'ai revu qu'à dîner: il était sombre, taciturne, il ne m'a pas regardée, il ne m'a rien dit. Ah! je ne doute pas de son amour! mais qu'est-ce donc qu'il a appris? s'il a de la peine, pourquoi n'est-il pas venu me la confier? en est-il dont je ne puisse le consoler? aurait-il des secrets pour moi? que pourrait-il vouloir me cacher? s'il a eu des torts dans sa vie, où trouvera-t-il plus d'indulgence que dans mon coeur? Mais cette femme qu'il a aimée dans l'enfance est peut-être l'objet qui le trouble? si elle était revenue à lui? que sais-je si ses parens désiraient cette union? Jamais il ne m'a parlé de sa famille avec détail; j'ai cru même remarquer souvent qu'il éviter d'appuyer sur ce sujet; je n'insistais [p. 94] pas: pourquoi risquer de l'affliger? Mais maintenant le souvenir de certaines phrases qui lui sont échappées se retrace à mon esprit et vient me frapper de terreur. Le jour de notre promenade au presbytère, mon oncle nous avait laissé ensemble; j'étais émue; il tomba à mes genoux, en s'écriant: Recevez le serment que je fais de vous adorer toujours malgré les obstacles . . . . Et le même soir, en allant à la Grotte de l'Hermite: Vous ne me quitterez pas, Amélie, me disait il; vous voyez bien que cela n'est pas possible; en vain tout me l'ordonne, en vain te devoir me crie de vous fuir, je ne le puis. Quels sont donc l'obstacle, le devoir qui nous séparent, Henry? hélas! j'ai cru, qu'ainsi que moi, le souvenir d'un amour malheureux était l'unique cause qui te faisait craindre un autre attachement; j'ai cru que l'intérêt de ton bonheur, ou du moins de ta tranquillité, était le seul obstacle que tu voyais entre nous deux, et l'unique [p. 95] devoir qui t'obligait à me fuir: s'il en est d'autres, Henry, pourquoi ne m'en avoir pas instruite? M'aurais-tu trompée? Parle: que signifient ces phrases interrompues? que me cachent-elles de sinistre? A ce mot, un noir pressentiment s'élève dans mon sein, et me dit que c'est un malheur terrible . . Albert, je crois pouvoir supporter le malheur quand il se présente devant moi; je ramasse alors toutes mes forces pour lutter contre lui: n'ai je pas su le vaincre une fois? mais quand il faut le craindre, quand il semble errer vaguement autour de moi, et que je ne vois pas de quel côté je serai frappée, alors je n'ai plus de courage. Il faut que je voie Henry, qu'il vienne qu'il me parle, qu'il me révèle la vérité . . Mais je crois l'entendre sur la terrasse: oui, le voilà qui s'approche de ma fenêtre: il m'appelle; je tremble . . . . Mon frère, il ma' demandé un moment d'entretien: il me prie de rappeler toutes mes forces; une sombre douleur [p. 96] enveloppe ses traits: que va-t-il me dire? que vais je apprendre? je me sens mourir: le voilà . . . . |