Amélie Mansfield[Volume II, pp. 141 - 143] LETTRE LVII[p. 141] Amélie, personne ne m'a vu sortir de chez toi; j'ai eu le courage de te quitter, tandis que tu étais encore sans connaissance: l'intérêt de ta réputation m'a fait fuir dans un moment où, si j'avais eu mille vies, je les aurais toutes données pour rester une minute de plus . . Depuis une heure j'erre autour de ta maison; le médecin qui sort d'auprès de toi m'assure que tu est tranquille: puisque tu es en état de m'entendre, écoute donc ce que j'ai à te dire. L'effroi que t'a causé le nom d'Adolphe vient, sans doute, des liens qui l'attachent à la famille des Woldemar: tu as vu ta tante entre nous deux, et tu as craint que son influence ne rompît notre unon? Eh bien! Amélie, ne [p. 142] nous exposons pas à un si grand malheur, et, sans tenter de ramener à toi un coeur aigri, que peut-être on aurait pu fléchir; pour ne plus nous quitter, pour ne pas t'abandonner à des souffrances qui seraient au dessus de tes forces, de ce moment, ne nous séparons plus; ôtons à nos tyrans tout moyen de troubler notre bonheur. Ici nous sommes encore trop près d'eux, ils pourraient nous atteindre: fuyons au bout de l'univers; allons consacrer nos noeuds sous un autre hémisphère; nous serons tout l'un pour l'autre, et nous oublierons ce monde où il faut dissimuler, souffrir, être oppresseur ou victime. Ma chaise et mes chevaux seront prêts dans une heure; ils nous conduiront à Gènes, ou nous trouverons promptement le moyen de nous embarquer. Je t'attends, viens me joindre; nous partirons aujourd'hui même. Qui peut te retenir? n'est-u pas mon épouse? Cette nuit de délices [p. 143] et de desespoir n'a-t-elle pas uni à jamais nos destinées? Ne t'es-tu pas livrée à moi, et ne puis-je pas dire avec orgueil, avec ravissement, que je suis le maître d'Amélie, et que quand je lui ordonne de me suivre, elle n'a plus le droit de me refuser? |