Amélie Mansfield

[Volume II, pp. 152 - 154]

LETTRE LX



Ernest à Amélie


Le même jour, cinq heures du soir.

[p. 152] Tu le veux, tu l'exiges, je vais partir, je vais chercher le consentement de ma mère; mais partir tranquille, ô mon amie, mon épouse! comment peux-tu le supposer? comment peux-tu le vouloir? Que je sois tranquille quand je te quitte! que je sois tranquille quand tu viens d'être à moi! . . . . Si entièrement unis il y a quelques heures, et maintenant un espace effroyable entre nous! verser des larmes de douleur quand je t'ai tenue dans mes bras! enfin, te fuir quand tu m'appartiens! . . . . Tu veux que je parte tranquille, quand je te sais livrée au plus affreux désespoir; penses-tu que la feinte tranquillité de tes paroles puisse me rassurer et que je te croie sans remords, quand je les ai vus [p. 153] te déchirer au moment où mon bonheur aurait dû te faire tout oublier; mais! ô ma bien aimée, dis-moi pourquoi ces remords viennent-ils du regret d'avoir rendu ton amant le plus fortuné de tous les êtres? serait-ce celui de n'avoir encore d'autre garantie que ma tendresse et mon honneur? aurais-tu crainte que ma passion diminuât et que ma vénération pour toi s'affaiblît? Mais, ce que je n'aurais pas cru possbile, je t'idolâtre et te respecte plus qu'avant ton abandon; mais les sermens les plus solennels, la cérémonie la plus auguste, la publicité la plus grande ne rendront pas nos noeuds plus étroits; plus indissolubles, plus saints qu'ils ne le sont; mais, enfin, quand je n'ai de vie que par ton amour, et que je ne respire que pour te rejoindre, si tu conservais au repentir ou une frayeur, c'est alors seulement que tu serais coupable. O toi à qui je ne sais quel nom donner! car ceux d'amie, de maîtresse, d'épouse ne satisfont pas assez mon amour; toi, [p. 153] âme de ma vie, que jamais l'ombre d'un repentir n'arrive jusqu'à ton coeur, et garde-toi de croire que Dieu puisse nous faire un crime sur la terre de cet amour qui doit être notre récompense dans le ciel.

Ecoute, Amélie; j'exige que, durant mon absence, tu ne laisses soupçonner à personne le secret de notre union, et qu'Albert lui-même n'en soit point instruit: quelques questions qu'il te fasse, quelque prière qu'il adresse dans ses lettres, aie la force de te taire. Je te l'avoue, l'influence qu'il exerce sur toi est si puissante, elle me cause un tel effroi, que je partirai point d'ici avant d'avoir reçu ta promesse que tu ne parleras d'Adolphe à ton frère, que quand je serai libre d'aller lui demander ta main.


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Page Last Updated 8 March 2004