Amélie Mansfield[Volume II, pp. 155 - 157] LETTRE LXI[p. 155] Quelles vaines recommandations m'adresses-tu, Adolphe! Crains-tu que je veuille dévoiler ma honte? et de tous les êtres qui existent, à qui ai-je plus d'intérêt à la cacher, qu'à ce frère respecté, et chéri qu'elle accablerait de douleur, et qui ne pourrait se consoler de ne pouvoir plus estimer sa soeur. Adolphe, je t'en conjure, ne cherche plus par de faux raisonnemens à me prouver que je n'ai pas manqué à la vertu, et ne l'outrage point en feignant de la méconnaître. Ce passage de ta lettre m'a fait de la peine; il manque de vérité, et il est inutile: ce n'est pas là les consolations que mon coeur te demande. Ah! ne crains point de me [p. 156] montrer la vertu dans toute sa beauté, et l'innocence avec tous ses charmes; plus tu les éleveras, plus mon coeur pourra te dire: "Juge combien je t'aime, puisque c'est à elles que je t'ai préféré . . " Mais laisse-moi du moins verser des larmes sur ma faute. Hélas! de tous les sentimens vertueux que Dieu a mis dans notre coeur, il ne me reste que le repentir. Veux-tu donc me l'arracher aussi, Adolphe, ne t'ai-je pas assez sacrifié? Puisse du moins le ciel ne pas me punir de mon égarement, par la perte de ton amour; j'en mourrais sans doute, mais je l'aurai bien mérité. Ecris-moi, écris-moi sans cesse; dans la situation où je suis, ne tenant à l'existence que par toi, une négligence de ta part, un événement imprévu peuvent m'être bien funestes. Tu ne sais pas combien la défiance est naturelle à la infortunée qui a à rougir de soi: il lui semble que tout le monde la voit comme elle se juge, et le léger oubli [p. 157] qu'elle eût aisément pardonné avec une conscience pure, lui paraît une preuve de mépris quand elle se sent coupable . . . . Ah! puisses-tu toujours être heureux! ton bonheur est ma seule excuse. |