Amélie Mansfield[Volume II, pp. 174 - 176] LETTRE LXVII[p. 174] La foudre est tombée sur ma tête: en revenant au château de Grandson, j'ai trouvé une lettre de mon frère; il arrive: peut-être il sera demain ici . . . . Je vois qu'il n'a pas reçu le billet que je lui écrivis le soir qui précéda cette nuit fatale . . . . Mais, qu'importe? il n'en lira pas moins ma honte sur mon front, et jamais sa coupable soeur n'osera lever les yeux sur lui: ses conseils, ses opinions, ses cruels éloges ont rempli mon âme de crainte, de remords et d'épouvante. Ton bonheur rassurait ma conscience alarmée: depuis que je ne te vois plus, elle commence à me déchirer; enfin, ma confiance s'ébranle, et je forme même des doutes sur toi. En vain je tends les bras; il [p. 175] me semble voir la main de Dieu t'arracher à mon amour et nous séparer à jamais . . . . O Adolphe! souviens-toi que je t'ai livré toute ma destinée, que te en réponds dans cette vie, et peut-être au delà; souviens toi que si tu m'abandonnas, ni l'amitié d'Albert, ni les cris de mon enfant, ni l'idée même de te laisser en proie aux plus affreux remords, ne pourraient m'engager à prolonger une existence que tu aurais dévouée à l'infamie . . . . O mon frère! mon excellent frère! tu me consacrerais tes jours, me dis-tu; si Blanche t'était enlevée, tu vivrais encore pour moi. Hélas! pardonne à ta malheureuse soeur d'avoir moins de courage; elle n'a plus la vertu pour la soutenir dans sa douleur . . . . Adolphe, peut-être mes tristes défiances t'offenseront-elles; mais que ne doit-tu pas pardonner à ma situation? ma tendresse est la même. Parce que je crains de te perdre, m'en es-tu moins cher? parce que je pleur sur ma faute, ai-je pu la détester [p. 176], et me repentir d'un amour qui m'a entraînée dans ce comble de misère; je verse des larmes bien amères sur mes torts, et la perte de mon innocence m'accable d'une douloureuse honte; mais faible et misérable que je suis, tant que ton coeur me restera, je ne croirai pas avoir tout perdu. Adolphe, dans une de tes lettres, tu me demandes si, dans le cas où tes instances seraient inutiles, je ne consentirais pas à fuir avec toi. Ta situation ne m'est pas entièrement connue, j'en suis persuadée; mais quelle qu'elle soit, je crois pouvoir te répondre: si l'obstacle vient de ta mère, je ne t'epouserai jamais; s'il vient de Madame de Woldemar, je suis prête à te suivre. |