Amélie Mansfield

[Volume II, pp. 204 - 207]

LETTRE LXXI [Continuation I]



Amélie à Ernest


29 Juin.

[p. 204] Blanche écrit à mon frère, qu'Ernest est arrivé à Dresde; il paraît, à ce qu'elle dit, plongé dans une grande mélancolie, et peu disposé au mariage que sa mère désire; elle ne parle avec intérêt; ses éloges m'ont alarmée; Albert a secoué la tête en souriant tristement: "Sois tranquille, Amélie, m'a-t-il dit, Blanche sera constante; mais elle cherche à m'inquiéter, et veut se faire regretter d'Ernest: sans doute elle réussira dans ces ceux projets. -- Mon Albert, crois-moi, retourne à Dresde, va veiller toi-même à ton bonheur. -- J'irai . . . . Puisque ma présence [p. 205] est inutile à ma soeur, et qu'elle repousse mes secours, il faudra bien partir. -- Ecoute, ô le plus chéri des frères! il est vrai j'ai un secret, tu le sauras un jour; mais maintenant ne cherche pas è le découvrir; car si tu le demandais, je sens bien qu'aucune puissance ne pourrait me donne la force de le taire, ni mi consoler de te l'avoir dit." Pendant que je parlais, il me regardait fixement, et des larmes coulaient le long de ses joues; il s'est promené en silence dans la chambre; puis se rapprochant de moi, il a dit: "Je ne te demande plus rien, je respecte ton secret, et je reste assez ma soeur, pour croire qu'il ne sache rien de honteux; mais s'il en etait autrement . . . . O mon père! ce n'est pas elle qu'il faudrait accuser; ce serait moi: ne m'avais-tu pas ordonné de veiller sur elle? et je l'ai abandonnée! Pourquoi ai-je permis qu'elle me quittât? pourquoi ne l'ai-je pas suivie? Ah! si ta fille a eu des torts, pardonne [p. 206] à sa faiblesse, et ne punis que moi. -- Oh! non, mon père, me suis-je écriée à mon tour en levant les mains au ciel, non, jamais ta fille ne sera assez coupable pour mériter une punition aussi horrible que celle du malheur de son frère." A ces mots, Albert m'a pressée sur son sein, et après un long silence, nous nous sommes efforcés de changer de sujet.

Mon oncle chérit Albert: mais qui ne le chérirait pas? Toi-même, Adolphe, quand arrivera ce beau jour, où, sans parler de ma faute à mon frère, tu lui confieras nos liens? Quand tu sauras de quel prix est son amitié, que tu connaîtras son coeur, Amélie seule te sera plus chère que lui. Adolphe, assurément, je voudrai tout ce qu'Albert approuvera: maintenant qu'une générosité exaltée ne peut plus l'égarer, ce qu'il jugera être bien le sera. Si en m'unissant à toi malgré ta mère, je ne faisais de tort qu'à moi, aurais-je hésité un instant? Ne t'ai-je pas tout immolé, ma paix, [p. 207] ma vertu, l'estime de mon frère? et maintenant, quand je te refuse quelque chose, ce n'est pas assurément mon intérêt qui m'arrête; car que me reste-t-il à perdre? . . . . Mais, Adolphe, que je te fasse violer tous tes devoirs! abandonner ta mère! la livrer è une inconsolable douleur! . . . . Non, jamais, jamais. Cependant, puisque tu me dis que tu espères, je veux espèrer aussi; je veux croire que bientôt, conduite par mon frère aux pieds de l'autel, je m'engagerai à ne te quitter qu'à la mort . . . . mais il n'y a qu'un événement pour un pareil bien; il y en a mille pour l'infortune . . . . O Dieu suprême! je ne murmure point contre toi; cependant je ne te l'avais pas demandée cette existence, que tu n'as remplie que de jouissances sans sécurité et de maux sans remèdes.


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Page Last Updated 10 March 2004