Amélie Mansfield[Volume II, pp. 265 - 269] LETTRE LXXVII[p. 265] Vous n'arrivez point, vous n'écrivez plus; et, dans les angoisses qui me déchirent [p. 266], croiriez-vous que j'ai pu trouver une idée plus cruelle encore que celle d'être oubliée de vous? j'ai craint pour votre vie . . . Adolphe, je suis sûre que vous êtes malade, peut-être en danger; l'agitation aura enflammé votre sang, vous n'aurez pas voulu me le dire, c'est-là unique cause de votre silence . . Ah! qui pourra m'instruire de ton sort, et me révéler tout ce que j'ai à craindre? s'il est vrai que tu ne puisses le faire, ouvre ton coeur à un ami, dévoile-lui ma honte s'il le faut; que m'importe, pourvu qu'il me rassure: puisqu'Ernest t'aime et qu'il est près de toi, conjure-le de m'écrire; qu'il sache que ce coeur qui lui fut destiné a été constamment déchiré par mille douleurs, et est maintenant en proie à la plus cruelle de toutes; s'il croit que je l'ai offensé, qu'il me pardonne et me plaigne. Tu dis qu'il n'est point sans pitié comme sa mère; il ne me refusera donc point les lumières que je demande, il m'apprendra quel est ce malheur qui [p. 267] m'attend. Ah, Dieu! c'est donc sa main qui me donnera ou la vie ou la mort! Fatale et bizarre destinée, qui me force à invoquer le secours de l'homme dont je n'aurais jamais cru être assez séparée! Mon frère va retourner à Dresde, je l'en ai supplié à genoux; il a souscrit à ma prière, j'en bénis le ciel. Je sens que j'ai besoin que mon frère s'éloigne, et que rien ne gêne ma liberté: mille projets fermentent dans mon sein; soit que j'aie à craindre pour ta vie, ou que j'aie perdu ta tendresse, il faut que mon incertitude finisse; mais m'occuper soins paisibles, conserver un visage serein quand toutes les inquiétudes me dévorent! c'est plus que je ne puis faire . . . . O Adolphe! où es-tu maintenant? quel lieu te cache à ma tendresse? et comment se fait-il que celle qui n'existe que de ta vie soit dans l'ignorance de ton sort? . . . . Comment! pas un mot, un seul mot! Ah! s'il n'était plus tems, si cette lettre ne te trouvait [p. 268] plus . . je succombe à cette horrible pensée: plutôt que de vivre une minute de plus avec elle, dis-moi, répète-moi que tu as cessé de m'aimer, que tu m'as retiré ton amour, ton amour que j'ai payé de tout mon bonheur; mais peut-être est-il vrai? Ne sais-je pas que, même au moment d'expirer, en pensant à ta douleur, j'aurais trouvé des forces pour t'écrire . . . . O Adolphe! s'il se pouvait que tu eusses violé tes sermens, et que ton coeur m'eût oublié! Non, ne me le dis point, laisse-moi mourir de mon incertitude; je ne veux pas emporter au tombeau l'affreuse idée de te savoir coupable . . Mais que dis-je? où m'entraîne un mouvement injuste? Pardonne, Adolphe, à une infortunée qui se débat contre une douleur qui la tue, d'avoir pu douter de ta foi; pardonne-moi, ô mon Dieu suprême! d'avoir osé croire que mon amant trahirait les sermens qu'il t'a faits: non, une si noire perfidie n'entrera jamais dans son coeur, et l'ange de mes jours ne les abandonnera [p. 269] point au désespoir. Hélas! je te connais trop bien pour pouvoir m'abuser sur le malheur dont le ciel me menace . . Si tu vis encore, tu vis pour Amélie, et bientôt tu le lui apprendras toi-même; mais, si ce funèbre silence se prolonge, le coup sera frappé, elle aura tout perdu; et alors, crois-tu que celle qui consent à se montrer déshonorée aux yeux d'Ernest et du monde entier pour être un instant plutôt rassurée sur ton sort, ne regardera pas comme une bien faible preuve d'amour de ne pouvoir te survivre? |