Amélie Mansfield

[Volume III, pp. 155 - 159]

LETTRE C [Continuation IX]



Blanche à Albert


Blanche à Albert, Vienne, 4 Octobre, six heures du soir.

[p. 155] J'ai volé à l'appartment de Madame de Woldemar; ma mère y était encore; [p. 156] toutes deux m'ont reçue avec une extrême sévérité: j'ai paru n'y pas faire attention. "Ma tante, ai-je dit, Amélie est fort mal, elle a besoin de secours; ordonnez à vos femmes de se rendre auprès d'elle, et veuillez me donner vos gouttes que je les lui porte. -- Est-elle prête à mourir, a demandé ma mère? -- Prête à mourir, me suis-je écrié! le ciel nous préserve d'un pareil malheur! -- Un malheur! a répété Madame de Woldemar en soupirant amèrement; elle appellerait cela un malheur. Blanche, a-t-elle continué d'un ton imposant, votre présence n'est pas nécessaire à cette femme, et ce n'est pas à moi à prendre soin d'elle. Mais mon fils est le maître de commander à mes gens: ce qu'il voudra d'eux, il le prescrira. -- Madame, je l'ai laissé seul avec Amélie; elle était presque sans connaissance; il ne peut la quitter." Madame de Woldemar a sonné: "Passez chez mon fils; demandez-lui ses ordres; s'il a besoin [p. 157] de mes femmes, vous les avertirez." Ma mère a eu l'air très-surpris. "Vous êtes d'une extrême bonté pour Amélie, lui a-t-elle dit après un moment de silence. -- Non, ce n'est point par pitié pour elle que j'agis ainsi, mais par respect pour moi-même que je fais respecter mon fils. Il n'est pas perdu sans retour encore; jusque la je lui conserverai dans ma maison la considération qui lui est due. -- Mais du moins faites-lui dire de se rendre ici: pourquoi lui permettre de rester auprès Amélie? -- Pour l'empêcher de me désobéir: dans ce moment, il serait capable de le faire: épargnons-lui une offense que je ne lui pardonnerais peut-être point. Quant à vous, Blanche vous ne paraîtrez plus dans cet appartement. -- Madame, ai-je interrompu vivement, ma mère ne me l'a point dit." Celle-ci s'est hâtée de répliquer: "Ne vous suffit-il point, Mademoiselle, que votre tant vous l'ordonne? -- Ah! me suis-je écriée, si Albert était ici . . . [p. 158] -- Eh bien! Mademoiselle, s'il était ici, il vous soutiendrait: est-ce-là ce que vous entendez? -- Non, ma mère; mais il soutiendrait Amélie; elle aurait du moins un ami pour la plaindre et la consoler. -- Eh! la misérable! n'en a-t-elle pas un, a interrompu Madame de Woldemar? ne m'a-t-elle pas enlevé mon fils? . . . Oui, plût à Dieu qu'Albert fût ici! je saurais à qui remettre cette femme: il l'emmenerait de chez moi. -- je doute qu'Ernest le permît, ai-je répliqué. -- Vous doutez donc qu'il m'obéisse? -- Ne le pensiez-vous pas aussi tout à l'heure, Madame? -- Vous vous oubliez, Mademoiselle. -- Ah! Madame, c'est que j'ai vu leur douleur, et que je parle à celle qui la cause." Ma tante, irritée, m'a dit de sortir de devant ses yeux; et ma mère, par son ordre sans doute, m'a enfermée dans la chambre où je suis à présent. On m'y a apporté mon dîner, auquel je n'ai pas pu toucher; mais j'ai prié le domestique de me procurer du [p. 159] papier, une plume et de l'encre; il s'est chargé d'un billet pour Amélie, où je la console autant que je le puis, où je lui donne l'assurance de la voir demain, quoique je ne sache trop si j'en aurai, je ne dis pas la permission, mais la possibilité. Voilà plus de trois heures que j'écris, Albert; je suis brisée par la fatigue et l'inquiétude. Je vais chercher un sommeil dont j'ai bien besoin. Que n'êtes-vous ici! je vous appelle de tous mes voeux.


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Page Last Updated 20 April 2004