Amélie Mansfield[Volume III, pp. 167 - 173] LETTRE CI [Continuation I][p. 167] Il était près de cinq heures quand je me suis présentée chez Madame de Woldemar; ma mère était toujours là, et j'ai trouvé mon père auprès d'elle: on venait d'annoncer le dîner. Je n'ai pas pu parler à ma tante; mais je l'ai priée, en sortant de table, de m'accorder un moment en particulier. "On [p. 168] vous a donc chargée du rôle d'ambassadeur? m'a dit mon père en ricanant. Et les propositions ne peuvent pas se faire devant nous? a ajouté ma mère du même ton. Blanche, m'a dit ma tante très-gravement, prenez garde à ce que vous allez faire; j'ai permis, j'ai approuvé même que vous alliez soigner cette femme: à votre âge, la pitié doit l'emporter sur le ressentiment, et vous ne deviez pas la laisser périr sans secours; mais maintenant, si vous osiez parler en sa faveur en tenter de la justifier, je crois que vos parens feraient sagement de vous éloigner d'ici, pour vous garantir des mauvais conseils et du pernicieux exemple que vous pourriez y recevoir. C'est bien notre intention, a répondu ma mère en regardant son mari; n'est-il pas vrai, M. de Geysa? Assurément, ma chère; et si notre présence n'est pas nécessaire à votre soeur, je veux que dès ce soir nous enfermions Blanche à la maison, jusqu'à ce que toute cette affaire-ci soit [p. 169] finie." J'ai vu tous les esprits si aigris, que je n'ai pas cru devoir les irriter davantage, en rapportant les paroles d'Ernest; j'ai seulement dit: "Si j'ai dû la permission de voir Amélie à l'idée que sa vie est en danger, pourquoi me la refuserait-on maintenant? Le danger existe; et si le docteur a bien vu, Amélie est même sans ressource. N'a-t-il pas dit qu'une impression de peine la tuerait? Il ne me semble pas qu'on soit disposé à la lui éviter. -- Ceci me regarde apparemment, Mademoiselle? m'a demandé ma tante avec hauteur. -- Quand cela serait, Madame, vous aurais-je offensée? ai-je fait autre chose que de répéter ce que vous ne cessez de dire? Car enfin, lorsque la passion de votre fils et le triste état d'Amélie n'ont pu affaiblir votre haine, que toutes vos paroles, tous vos gestes l'expriment, que vous voulez en accabler cette infortunée, n'ai-je pas lieu de penser que vous ne lui éviterez pas les impressions qui [p. 170] peuvent la tuer? -- Mais où a-t-elle donc pris tout ce qu'elle dit aujourd'hui? a reparti mon père en regardant ma mère d'un air étonné. -- Auprès du lit d'Amélie, a répliqué ma tante -- Il faut donc bien se donner de garde de l'y laisser retourner." Je suis tombée à ses genoux. "Ecoutez, mon père, Amélie est fort mal, peut-être ne vivra-t-elle pas demain; elle est loin de son frère, abandonnée de toute sa famille: me défendrez-vous de recueillir son dernier soupir, et de passer cette seule nuit auprès d'elle? si elle est mieux demain, je me soumettrai sans murmure à tous vos ordres." Il m'a relevée en m'embrassant. "En vérité, ma fille, vous faites de moi tout ce que vous voulez. En vérité, ma soeur, je ne puis pas refuser Blanche." Ma tante s'est promenée dans la chambre sans répondre; j'ai bien vu que sans son consentement je n'obtiendrais point la faveur que mon père venait de m'accorder: je me suis approchée [p. 171] d'elle d'un air suppliant: "Ma tante, lui ai-je dit, Amélie est si mal, que dans ce moment Ernest n'est pas en état de vous entendre; tant qu'elle sera en danger, il est résolu à ne la quitter ni jour ni nuit: serait-il donc convenable que votre nièce restât seule avec votre fils qui l'aime et des domestiques qui dépendent de lui? jugez-vous, ma tante, que ce soit décent, même pour vous?" Elle s'est arrêtée tout à coup comme frappée de ce que je lui disais: "Vous avez raison, Blanche; oui, en effet, il ne faut pas les laisser seules . . . . Quelle imprudence! je vous remercie de votre avis, Blanche; retournez-y, et ne les quittez pas. -- Quoi! ma soeur, vous voulez que me fille reste là? vous ne craignez plus pour elle la société d'Amélie? lui a demandé ma mère. -- Non, non, Blanche a raison, il n'est pas décent qu'ils soient seuls; et puis-que mon fils est décidé à rester là . . . . Ecoutez, Blanche, a-t-elle ajouté, vous voyez que quand [p. 172] j'ai un tort j'en conviens sans peine; mais aussi quand la justice et l'honneur sont pour moi, je ne cède jamais . . .vous pouvez dire cela à Amélie. -- Vous me permettez donc de retourner près d'elle? -- Oui, allez-y; et annoncer à Ernest que, puisqu'il refuse de venir vers sa mère, sa mère ira vers lui: quand Amélie sera en état de m'entendre, c'est à elle que je parlerai. -- Quoi! vous consentez à la voir! -- Oui, j'y suis résolue: il m'en coûtera beaucoup; mais n'importe, l'intérêt de mon fils me demande encore ce sacrifice . . . Ah! Madame, ce ne peut être que pour lui pardonner que vous voulez la voir . . . Pour lui pardonner? a-t-elle interrompu . . . . " Elle s'est arrêtée tout à coup, a paru réfléchir, et puis a ajouté en me regardant fixement: "Oui, Blanche, c'est pour lui pardonner que je veux la voir; il dépendra d'Amélie de se réconcilier avec moi . . Et quel sera le prix de cette faveur? ai-je demandé en tremblant, [p. 173] .. Quand je croirai devoir l'en instruire, vous l'apprendrez: jusque-là, Blanche, dispensez-vous de m'interroger." Je n'ai pas répliqué, et, après l'avoir salué, ainsi que mon père et ma mère, j'ai couru promptement chez Amélie. |