Amélie Mansfield

[Volume III, pp. 177 - 181]

LETTRE CII



Blanche à Albert


6 Octobre à midi.

[p. 177] Amélie est mieux ce matin, et je commence à espérer que Madame de [p. 178] Woldemar s'appaisera: ah! qu'il m'est doux, cher Albert, d'avoir quelque chose de consolant à vous marquer.

Ce matin, assise sur le lit d'Amélie, je causais avec Ernest de votre prochaine arrivée, et tous les heureux effets que pourrait produire votre présence; Amélie nous écoutait en silence et paraissait agitée d'un sentiment pénible: on est venu m'avertir que ma tante me priait de passer chez elle; ce message nous a troublés. "Que peut-elle me vouloir? ai-je demandé à Ernest. -- C'est pour vous parler d'Amélie. -- Assurément. -- Mais que vous dira-t-elle, Blanche? -- Ah, mon Dieu! je n'en sais rien." Nous étions tous deux si agités, que nous marchions dans la chambre comme des insensés; Amélie était tranquille et souriait tristement. "Va, Blanche, m'a-t-elle dit, ne te fais point attendre: à présent qu'il t'est permis de revenir, je te vois sortir avec moins de peine." Ernest m'a accompagnée sur l'escalier en [p. 179] me recommandant beaucoup de choses dont je n'ai pas entendu la moitié. J'ai trouvé ma tante avec mon père: après les avoir salués, j'ai demandé des nouvelles de ma mère; elle dormait encore: j'attendais qu'on me parlât d'Amélie, mais personne ne disait rien; à la fin, mon père, après avoir fait quelques tours dans la chambre, est venu à moi, m'a regardée avec tendresse: "Je te trouve changée, ma Blanche, a-t-il dit; tu as le coeur si sensible! tu t'inquiètes trop facilement; tu auras veillé toute la nuit; voyez comme elle est pâle, ma soeur! En vérité, cette vie ne lui vaut rien. -- Tranquillisez-vous, mon frère, tout cela ne durera pas long-tems. Alors elle m'a fait approcher et m'a questionnée sur les motifs qui ont engagé Amélie à quitté la Suisse; je lui ai dit ce que je savais, et il m'a été aisé de lui prouver que les torts d'Ernest et mes imprudences étaient la cause de l'extraordinaire démarche où Amélie [p. 180] avait été entraînée; elle ne m'a point répondu et est tombée dans une profonde rêverie, dont mon père ni moi n'avons osé la distraire; enfin elle s'est levée et m'a dit: "Vous pouvez retourner auprès Amélie, faites-la soigner avec zèle, et aussitôt qu'elle sera mieux, ne manquez pas de me le faire savoir sur-le-champ." Alors, sans attendre de réponse, elle est entrée dans son cabinet.

"Ah, mon père! me suis-je écriée, que peut signifier un pareil intérêt? se pourrait-il que ma tante s'adoucit et que le malheur d'Amélie eût enfin touché ce coeur si vindicatif?" Mon père m'a reproché de parler trop librement sur le compte de Madame de Woldemar; cependant, il a fini par être de mon avis, et par convenir qu'elle usait d'une rigeur excessive envers Amélie et Ernest; il m'a même promis de parler pour eux; mais je compte peu sur son secours, et je crains bien qu'au premier mot de Madame de [p. 181] Woldemar, tout son courage ne l'abandonne.


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Page Last Updated 21 April 2004