Amélie Mansfield[Volume III, pp. 186 - 189] LETTRE CIII [Continuation II][p. 186] Comme demain matin je ne serai [p. 187] plus ici sans doute, je vais employer une partie de la nuit à vous rendre la scène qui vient de se passer: je laisserai le paquet à Ernest, afin qu'il vous le remettre à votre arrivée. A peine ai-je entrevu Madame de Woldemar avec mes parens, que je me suis élancée dans l'appartement d'Amélie. "Voilà ma tante, voilà votre mère, Ernest." Amélie pâli tout à coup si prodigieusement que nous en avons été effrayés. "Au nom du ciel, calmez-vous, mon amie, lui a dit Ernest, rassemblez tout votre courage; n'avez-vous pas ici Blanche et moi pour vous soutenir?" Madame de Woldemar est entrée; Ernest a couru au-devant d'elle. "Voilà quatre jours que je ne vous ai vu, mon fils. --- Ah, Madame! de l'indulgence, a-t-il répondu en portant la main de sa mère à ses lèvres. --- Oui, Madame, de l'indulgence," s'est écriée Amélie avec un accent douloureux, et ne faisant quelques pas vers la Baronne; mais [p. 188] elle était si faible et si tremblante que, hors d'état de se soutenir, elle est tombée sans force aux pieds de son juge. "Levez-vous, Madame, lui a dit la Baronne d'une voix un peu émue: ce n'est pas à vous à prendre cette attitude, car c'est moi qui viens vous implorer." Ernest l'a soulevée dans ses bras et l'a replacée sur le canapé; Madame de Woldemar a refusé de s'asseoir auprès d'elle, et s'est placée sur un fauteuil à quelque distance. "Bonjour, Amélie, lui a dit mon père d'un ton assez amical." Ma mère l'a salué froidement sans lui parler, et a été se placer près de la Baronne. Ernest et moi avons fait asseoir Amélie entre nous deux sur le canapé; et mon père, à qui j'ai fait un signe, a poussé son fauteuil de notre côté. Il s'est fait un long silence; chacun paraissait troublé; on sentait que le sort que la vie de deux personnes étaient attachés au sujet qu'on allait traiter, et [p. 189] nul ne se trouvait assez de courage pour oser l'entamer. Je voyais Madame de Woldemar détourner ses regards de dessus Amélie, dont le visage charmant portait une telle empreinte de douleur, qu'on ne pouvait le fixer sans être prêt à céder à un attendrissement que redoutait ma tante: elle évitait aussi de regarder son fils, dont l'attitude suppliante, l'air d'anxiété, la figure altérée étaient faits pour porter le désordre dans l'âme d'une mère: elle a levé les yeux sur mon père et sur moi, et les a ramené sur ma mère, qui, par son maintien froid et sérieux, l'a seule encouragée à commencer. |