Amélie Mansfield[Volume III, pp. 218 - 220] LETTRE CIV[p. 218] Adolphe, que votre colère cesse, et que mes injures soient oubliées; car je suis dans la peine, et j'ai besoin de vos services. Partez sur-le-champ pour Vienne, et allez trouver mon fils; il vous instruira de tout ce qui s'est passé entre nous: vous verrez Amélie, fatal objet e son amour, et je puis ajouter, de ma profonde pitié; mais, ceci, il faut bien se garder de le leur dire. Adolphe, c'est un secret involable que je vous confie, et, malgré vos torts avec moi, je n'ai jamais crainte votre indiscrétion: s'ils savaient la résolution qu'a opérée en moi la vue d'Amélie expirante, s'ils savaient qu'il ne me faut peut-être un mot [p. 219] pour céder, ils forceraient à l'instant même mon consentement; et si je n'attendais pas à la dernière extrémité pour l'accorder, je serais inexcusable aux yeux de monde comme aux miens. Quoique vivement touchée de l'état d'Amélie et du désespoir de mon fils, mon opinion sur leur mariage n'a point changé; je le regarde comme un très-grand malheur, mais moindre pourtant que celui de les perdre tous deux. Je sais bien qu'il y aurait plus de courage et de véritable grandeur à préférer la mort de son enfant à son déshonneur; mais, je l'avoue, je ne suis pas assez ferme pour ce parti, et c'est inutilement que j'ai voulu l'adopter. Allez donc près d'eux, Adolphe, et informez-moi secrètement de ce que j'ai à craindre ou à espérer: je sais bien que le docteur m'a dit qu'une peine trop vive pouvait tuer Amélie; mais je crois qu'il était gagné pour m'effrayer et m'attendrir. C'est vous seul que je veux croire, Adolphe; je connais [p. 220] votre respect pour la vérité; je suis sûre que dans cette occasion-ci il ne se démentira pas. J'ai dû, pour la mémoire de mes aïeux, recourir à tous les moyens capables de faire renoncer leur petit-fils à une union honteuse, et endurcir mon coeur contre les prières et les larmes; mais à la première apparence d'un véritable danger, sans changer d'opinion, sans me croire exempte de reproches, je céderai: ainsi, Adolphe, au moment où vous jugerez que ce danger existe, venez me chercher au couvent des Ursulines, à Melck, où je me suis retirée, et je reviens avec vous rétracter mon refus. |