Amélie Mansfield[Volume III, pp. 258 - 263] LETTRE CX [Continuation I][p. 258] Le pasteur est monté dans la chaire; il a pris pour texte ce passage de l'écriture: Les jours de mon pélérinage sur la terre ont été bien courts et bien malheureux.* Son discours a été simple et pathétique. Il a parlé de l'enfance d'Amélie, des vertus qu'elle annonçait dès l'âge le plus tendre; il a remarqué [p. 259] la grâce que Dieu avait faite à Ernest en l'aidant à dompter son fougueux caractère: "Si cet heureux changement, a-t-il dit, augmente en nous le regret de sa perte, il lui donne plus de droits à la miséricorde divine. Les infortunés que nous pleurons ne furent point exempts d'erreurs; mais Dieu les a châtiés sur la terre, et maintenant il les appelle à lui, et les couronne de la vie immortelle, car la bénédiction du pauvre est sur eux. Et vous, a-t-il continué en s'adressant aux jeunes gens, vous qui allez vous unir aux pieds de l'autel, vous à qui ils ont assuré un bonheur qu'ils ne devaient pas goûter, contemplez cette tombe: ceux qu'elle renferme étaient comme vous au printems de la vie, comme vous ils ont espéré, ils ont aimé; à présent ils n'espèrent plus, ils n'aiment plus. Ils avaient ordonné cette cérémonie et croyaient en être témoins; ils y assistent aussi, mais muets et glacés: ils voulaient vous donner l'exemple d'une sainte union . . . . hélas! celle qu'ils [p. 260] avaient formée ne se rompra plus . . . . " Les pleurs ont étouffée sa voix; il s'est interrompu pour porter son mouchoir à ses yeux: des sanglots ont reteni dans toutes les parties de l'église. Tout à coup l'orgue s'est fait entendre; on a commencé l'office des mots: "Suspendons nos gémissemens et prions pour eux, a dit le prêtre." Chacun est tombé à genoux. Quand la musique funèbre a cessé, un profond silence lui a succédé. Le curé s'est recueilli long-tems; à la fin il est descendu de la chaire en disant d'une voix altérée: Maintenant exécutons une fondation de bienfaisance et célébrons les mariages." Il s'est approché de l'autel pour donner la bénédiction aux époux: aussitôt que chacune des filles l'avait reçue, elle déposait sa couronne sur le cercueil, auprès duquel elle se mettait à genoux: ces fleurs éparses autour de ces voiles de deuil, ces chants d'hyménée et ces cloches funébres, cette fête au milieu des larmes, et ces jeunes [p. 261] gens qui se juraient un amour éternel en face ce cette tombe qui attestait qu'il n'y a rien d'éternel sur la terre, tout cela brisait l'âme et la remplissait de terreur; l'aspect de ces plaisirs périssables faisait frémir à la lueur des ces lugubres flambeaux, et on eût dit que le jour de l'ésperance ne s'était rapproché de celui de la mort que pour détruire la confiance présomptueuse, et montrer le néant des folles joies. Après la cérémonie, le char funéraire a été a ramené au château; on a descendu la bière dans la chapelle souterraine qui renferme la cendre de vos ancêtres: la tombe de votre grandpère m'a fait tressaillir d'horreur: c'est de là que l'orgueil dicta l'arrêt de mort d'Ernest et d'Amélie . . . . Ah, Mademoiselle! quand j'a vu les déplorables restes de mon ami prêts à disparaître pour toujours, alors seulement j'ai pu pleurer. Le pauvre M. Grandson est tombé sans connaissance; il a fallu l'emporter. L'enfant d'Amélie tentait de descendre dans la fosse; [p. 262] il voulait mourir, criait-il, il voulait suivre sa mère; et Albert, l'inconsolable Albert, le front humilié contre la poussière, baisant le marbre de la tombe de son père, lui demandait en gèmissait de lui pardonner la mort de sa soeur. "Tu me l'avais confié, disait-il avec des torrens de larmes; ah! ce n'était pas pour te la rendre sitôt . . Tu m'avais dit: Protège la, mon fils, et ton fils l'a abandonnée." Il n'a pas pu continuer; son désespoir est devenu si violent que j'ai craint pour sa vie: je l'ai pris entre mes bras: "Supportez votre douleur en homme, lui ai-je dit, et songez à Blanche. -- Hélas! m'a-t-il répondu, si je n'y avais pas tant songé, celle-ci ne serait pas là peut-être." On a suspendu une couronne nuptiale sur la tombe de ces infortunés, avec ces mots: "Leurs jours ont été comme cette fleur, l'orage les a flétris comme elle avant le tems, et la terre où ils étaient ne les reconnaît plus.** Sur la pierre qui les [p. 263] couvre on a écrit ces mots choisis par Amélie, et qui conviennent si bien à Ernest: Ici on est à l'abri des passions, et ceux qui sont fatigués se reposent. En sortant de cet asile de mort, j'ai jeté un long regard sur la tombe de mon ami, et lui ai dit un éternel adieu:; j'ai vu la porte funèbre se refermer sur ces cendres glacés, et tout a été fini. |
* Genèse, ch 47, v. 9.
** Psaumes.