Amélie Mansfield[Volume III, pp. 82 - 85] LETTRE XCII[p. 82] Comment ne vous ai-je pas vu avant mon départ, Adolphe? comment ne [p. 83] m'avez-vous pas écrit un seul mot depuis? Je m'en suis plaint à ma mère; elle prétend que vous avez bien fait: sait-elle donc vos raisons? se passe-t-il entre vous deux quelque chose que j'ignore? et mon ami trahirait-il? Ah! pardonnez, Adolphe, à un homme dont la tête est encore malade, d'avoir pu former un pareil soupçon: je vous rends justice; je sais que vous êtes le plus fidèle ami et le plus vertueux des hommes; mais il y a un mystère qui m'inquiète et qu'il faut éclaircir. Je ne suis pas content de ma mère: à mésure que ma santé se rétablit, elle reprend un regard sévère, et paraït prête à m'imposer silence chaque fois que je prononce le nom d'Amélie: ah! qu'elle l'osât faire une seule fois, et mon parti serait bientôt pris: elle verrait alors quel fruit elle recueillerait d'avoir violé sa promesse. Allez tous les jours chez Albert pour veiller à ce qu'il m'envoie sans [p. 84] retard la réponse qu'Amélie doit lui adresser: je l'ai vivement conjuré de ne pas perdre un moment; mais que votre amitié me prête aussi son secours. Jusqu'à ce que cette lettre soit entre mes mains, jusqu'à ce que j'aie vu par mes yeux qu'Amélie me pardonne, m'aime encore et se croit heureuse, je n'aurai pas un instant de repos; mes jours sont agités, mes nuits sont sans sommeil; mille pensées, mille craintes se présentement tour à tour: mon Amélie a dû tant souffrir! avec un caractère si doux; elle a un coeur si susceptible, si prompt à s'effrayer, si capable de résolutions extrêmes! Dans sa dernière lettre, elle parlait de projets, de désespoir: depuis elle n'a plus écrit . . d'où vient ce silence? . . O Adolphe! prenez pitié de moi; pas une minute, une seconde de retard dans la lettre que j'attends: peut-être Albert me la portera-t-il lui-même; car M. de Geysa, qui est arrivé hier avec sa famille, m'a assuré qu'il ne tarderait [p. 85] pas à le suivre: sa présence est nécessaire ici pour la cassation du testament; mais quoique son mariage avec Blance doive se conclure immédiatement après, j'espère qu'il ne partira pas avant d'avoir reçu la lettre de sa soeur. Adolphe, veillez sur lui, veillez pour moi, pour la vie de votre ami. |