Amélie Mansfield[Volume III, pp. 89 - 91] LETTRE XCIV[p. 89] Je viens de recevoir une lettre de M. Grandson, qui m'apprend qu'Amélie a quitté sa maison, son fils, et qu'on ne sait où elle est allée: je ne m'entendrai pas en plaintes sur cet événement: il ne s'agit pas de gémir, mais de la sauver. Je pars dans l'instant, et je jure de ne m'arrêter, de ne prendre un moment de repose, et de ne vous [p. 90] revoir, que quand j'aurai retrouvé ma soeur. L'infortunée! elle a pu quitter son enfant! Qu'elle est affreuse la puissance qui a pu l'y déterminer! et dans quel état elle doit être! . . . . Malgré moi, mes larmes inondent mon papier; ah! ce sera peut-être des larmes de sang qu'il me faudra verser sur son sort! Blanche, gardez un profond silence sur ce funeste événement; taisez-le surtout à Ernest: il ne pourrait contraindre sa douleur, il voudrait voler après Amélie, son départ donnerait de la publicité à l'imprudence de ma soeur; sa mère irritée y pourrait trouver un prétexte pour révoquer sa promesse et le saisirait avec joie; il faut éviter ce malheur. Quand je vous reverrai, vous saurez ce qui a déterminé celui de ma soeur; vous frémirez en voyant les suites terribles qu'entraîne ce désir immodéré de plaire qui vous domine toujours. Vous avez voulu paraître aimable à Adolphe et même à Ernest; vous vous êtes vantée d'avoir réussi, vous avez [p. 91] cru n'être que légère . . . . Blanche, je n'accuse point votre coeur; mais par mal que vous avez fait, vous apprendrez trop tard qu'une femme coquette peut bien être toujours vertueuse, mais qu'elle n'est jamais innocente. Mon absence offensera peut-être vos parens: vous pourrez les appaiser en leur disant que j'ai été appelé à Lunebourg pour une affaire importante: si cette excuse ne leur suffit pas, et qu'ils me jugent coupable, je vous recommande, Blanche, au nom du repos de ma vie entière, de ne pas me justifier en accusant ma soeur: ne prononcez pas le nom d'Amélie: que je la sauve et que vous me conserviez votre amour, c'est tout de qu'il faut à mon coeur. |