This review first appeared in Eighteenth Century Fiction, 22:4 (Summer 2010):739-741. For my response see my blog, "Strong praise for my website devoted to Isabelle de Montolieu"
Isabelle de Montolieu (1751-1832). Caroline de Lichtfield, ou Mimoires d'une Famille Prussienne, ed. Ellen Moody. http://www .jimandellen.org/ montolieu/ caroline.show.html
Bien qu'Isabelle de Montolieu ait marque 1'histoire litteraire par ses traductions de Sense and Sensibility et de Persuasion de Jane Austen, de meme que par son adaptation de Robinson suisse de Johann David Wyss, son premier roman, Caroline de Lichtjield, ou Memoires d'une famille prussienne, qui connait un succes immediat au moment ou il est publie en 1786, echoue a lui faire traverser les siec1es. Ce roman reedite plus de vingt fois entre 1786 et 1861 et traduit en anglais, en allemand, en portugais et en espagnol ne connait aucune reedition critique moderne. II a ete rendu disponible aux specialistes de la litterature grace au projet Gutenberg et a Eighteenth Century Collections Online. Numerisee par Google Books, sa traduction anglaise de Thomas Holcroft (1786) est depuis peu devenue plus facilement accessible. Le site web d'Ellen Moody a donc le merite de procurer au grand public une version e1ectronique d'un roman d'une femme auteur de la Suisse romande devenue celebre a la fin du siec1e des Lumieres.
Le texte et les notes que donne a lire Moody sont fide1es a 1'edition de 1815 publiee chez Arthus Bertrand. Les evenements du roman sont regroupes dans une liste de sous-titres servant de liens pour acceder au texte e1ectronique. Bien que Moody s'inspire de la division originale de 1'auteur, elle n'ajoute pas moins de cinquante sous-titres. Assurement, ce morcellement a l' avant age de donner un apercu des principaux evenements du recit, mais il porte malgre tout atteinte a 1'integrite du texte qui, dans sa version originale, ne connaissait qu'une division en cahiers et en lettres.
En plus de fournir une version electronique de 1'edition de 1815 du roman d'Isabelle de Montolieu, le site web comprend des informations sur ses sources, ses references intertextuelles et sa reception. En precis ant qu'« Albertine », une nouvelle d'Antoine Wall publiee en 1783 dans Les Bagatelles, inspira a Isabelle de Montolieu le sujet de Caroline de Lichtjield et en retracant 1'heritage precieux de ce roman, Moody situe c1airement le contexte qui a vu paraitre l'oeuvre en question. Comme Moody souhaite « faire comprendre le developpement du roman, surtout tel qu'il est pratique par les femmes » a l'aide du roman de Isabelle de Montolieu, elle aurait gagne a mettre en evidence la reception qu'a connue Caroline de Lichtjield en France et en Suisse en 1786 plut6t que la reaction qu' a suscitee la traduction anglaise de Thomas Holcroft en Angleterre.
Riche de references aux lettres d'Edward Gibbon, de M. et Mme William de Severy et du General de Montesquiou, la partie que Moody consacre a la vie d'Isabelle de Montolieu retrace son enfance a Lausanne, sa rencontre avec Jean-Jacques Rousseau, son mariage a Benjamin de Crousaz en 1769, ses onze annees de veuvage durant lesquelles elle redige Caroline de Lichifield et se lie d'amitie avec la comtesse de Genlis, sa relation avec l'historien Gibbon et son second mariage au Baron Louis de Montolieu en 1786. Bien qu'elle trace un portrait convaincant de la place qu'occupait Isabelle de Montolieu dans la societe lausannoise et qu'elle mette en evidence Ie role qu'ont joue la comtesse de Genlis et Gibbon dans la publication de Caroline de Lichifield, Moody passe sous silence la relation d'amitie qui unissait Isabelle de Montolieu a Isabelle de Charriere, une romanciere renommee de la Suisse romande.
Pour completer le portrait d'Isabelle de Montolieu,Moody donne un echantillon de la production litteraire de cette femme auteur. D'abord, elle reproduit la «Preface du traducteur» de Raison et sensibilite. Ensuite, elle numerise certains passages de ses contes historiques Chateaux suisses, anciennes anecdotes et chroniques et inclut des liens a Gallica pour consulter Ondine et Le Journal d'un pere de famille naufragi dans une ile diserte avec ses enfants. Elle ajoute une section ou elle discute de l'adaptation qu'a publiee Isabelle de Montolieu du Swiss Family Robinson de Wyss, un roman inspire de Robinson Crusoe (1719) de Daniel Defoe. Alars que les references qu'elle emploie etaient jusque la solides, elles perdent de leur serieux lorsqu' apparait un commentaire anonyme paru sur Ie site Amazon pour soutenir que Ie roman de Wyss se veut une apologie de l'ideologie chretienne.
La bibliographie que propose Moody sur Isabelle de Montolieu constitue une ressource importante pour l'etude de la production litteraire de cette femme auteur. Elle comprend une liste complete des traductions, contes, romans et nouvelles de cette femme de lettres et elle repertorie les ouvrages critiques capitaux portant sur l'ecriture feminine, sur l'evolution du roman et sur la litterature de la Suisse romande. Moody a raison de preciser dans une note separee que certains ouvrages dont Enchanted Plants, Fables by Flora, The Festival of the Rose ont ete attribues a tort a Isabelle de Montolieu et etaient plutot l'ceuvre d'une femme auteur anglaise du meme nom, Maria Henrietta Montolieu.
Alors que Ie dernier sous-titre du site web annonce l'etude d'« other relevant novelists» et laisse imaginer qu'il pourrait etre question de Stephanie de Genlis ou de Charriere avec qui Isabelle de Montolieu s'etait liee d'amitie, Moody traite uniquement de Sophie Cottin sans expliquer pourquoi cette romanciere merite une place au sein d'un site web consacre a Isabelle de Montolieu. Elle reproduit fidelement le texte de l'edition de 1809 d'Amelie Mansfield. Elle inclut un lien vers un site web de l'Universite de Rouen qui porte sur la production romanesque de Cottin et propose une bibliographie repertoriant les publications de cette femme auteur, de meme que les ouvrages critiques s'y rapportant. A cette derniere partie s'ajoute un lien vers un compte rendu de 1'ouvrage d'Antoinette Marie Sol, Textual Promiscuities: Eighteenth-Century Critical Rewriting, qui detonne avec le contenu du site web.
Alars que pour le grand public, ce site web a l'avantage de rendre possible la lecture d'un roman difficile d' acces, pour les specialistes de la litterature des Lumieres, il s'illustre surtout par les bibliographies qu'il comprend.
Isabelle Tremblay
U niversite de Montreal