[Fin du cahier du Lindorf, Volume II, pp. 104 - 106] [104] "J'ai fini, Caroline. Vous savez le reste, et les expression ne rendroient pas ce que j'ai éprouvé depuis l'instant où j'ai reçu cette lettre, depuis celui surtout qui m'a découvert combien j'étois coupable. Je commençai cet écrit hier en vous quittant. A peine ce temps a-t-il pu me suffire. Ma main et mes yeux fatigués peuvent à peine vous tracer un adieu effacé par mes larmes, et vous conjurer de pardonner au malheureux qui troubla la tranquillité de vos jours. Puissiez-vous, en l'oubliant entièrement, retrouver cette paix, cette [105] sérénité qui faisoient votre bonheur! Ah! croyez-moi, Caroline; croyez l'ami qui vous connoît mieux que vous-même, et qui connoît aussi celui à qui vous devez désormais consacrer vos sentimens et votre vie: ce n'est qu'auprès de lui, ce n'est qu'en le rendant heureux comme il le mérite, que vous le serez vous-même. Mais vous avez lu; votre coeur a prononcé; il est sans doute à lui seul, et je n'ai plus rien à vous dire. Je n'ai pris encore aucun parti sur moi-même; je ne sais ni ce que je deviendrai ni ce qu je dirai au comte. Peut-être lui devrois-je une confidence entière; mais un mot qui m'est échappé dans la lettre, un mot que je voudrois racheter aux dépens de ma vie, me l'interdit à jamais. Non, Caroline, votre nom ne sortira jamais de mon coeur ni de ma bouche. Je m'interdis
jusqu'à la douceur de prononcer ce nom chéri . . . Grand Dieu! suis-je assez malheureux! [106]
Adieu, adieu, Caroline! Adieu pour jamais, puisque je m'impose la loi de ne plus vous revoir que
lorsque j'aurai cessé de vous adorer. Oh! si cet amour pouvoit s'épurer assez pour ne plus voir
en vous que l'épouse du comte de Walstein; si je pouvois une fois vous ramener un ami digne
de vous et de lui! Il n'y a plus pour moi que cette espérance ou la mort . . . Adieu, Caroline! je
cours vous remettre ceci, vous revoir . . . Non, je ne vous verrai pas; je ne vous regarderai pas.
Vous êtes l'épouse de mon ami, la comtesse de Walstein. Oui, c'est à la comtesse de Walstein,
que je vais donner ces papiers, ce portrait. Caroline! elle n'existe plus pour moi . . .Voilà l'heure
où vous devez vous rendre au pavillon. Vous y êtes; j' vole . . . Grand Dieu! donnez-moi des
forces; soutenez mon courage!" |