[Volume II, pp. 149 - 154] [149] Du château de Ronebourg, chez "Si j'étois assez malheureux pour que cette lettre fût reçue avec un sentiment de crainte ou d'effroi, je conjure celle à qui elle est adressée de se rassurer, de la lire avec bonté, d'être convaincue que celui qui l'écrit perdroit plutôt la vie que de lui causer un seule instant de peine. Oui, madame, vous à qui je n'ose donner un nom plus tendre; oui, je suis votre ami, je veux l'être, et c'est à ce titre je vais m'entretenir avec vous de l'objet qui m'intéresse le plus au monde, du bonheur de Caroline. Il n'est rien que [150] je ne sois prêt à faire pour l'assurer. Daignez me prescrire des ordres, des sacrifices; tout me deviendra facile si je puis parvenir à vous rendre heureuse. M. votre père doit vous avoir écrit; j'ignore le contenu de sa lettre ; mais, quel qu'il soit, s'il vous impose la moindre contrainte, il est démenti par mon coeur. Vous êtes libre, madame, maîtresse absolue de votre sort et du mien. Je vous remets à mon tour l'entière dècision de ce que vous voulez que je devienne, et je jure de me soumettre à l'arrêt que vous prononcerez. Mais puis-je me faire là-dessus la moindre illusion ou conserver le moindre doute? Ne l'ai je pas sous les yeux, cette lettre cruelle1 où vous déclarez que votre coeur n'a point changé, que ce malheureux époux est toujours détesté, [151] et que votre unique désir est de vivre loin de lui! Eh bien, Caroline, vous serez satisfaire; vos désirs doivent être des lois pour moi: je n'ai que trop écouté les miens lorsque je vous ai enchaînée pour la vie. Je dois m'en punir, et mériter à la fois votre estime et votre reconnoissance, en m'éloignant de vous aussi long-temps que vous l'ordonnerez . . . Non, Caroline, vous ne serez point condamnée à vivre dans la retraite pour m'éviter. La cour ne sera point privée de son plus bel ornament, et votre père d'une fille qui fait sa gloire. Revenez auprès de lui jouir de ces innocens plaisirs que vous êtes si bien faite pour goûter, et ne craignez pas qu'ils soient empoisonnés par ma présence. Mon parti est pris. Je suis ici chez un ami, qu'une passion malheureuse oblige à voyager quelques années, et je suis décidé à partir avec lui. Ma compagnie adoucira ses peines; et les miennes le [152] seront par la consolante idée que vous êtes plus heureuse, plus tranquille, et que je répare, autant qu'il est possible, tout le mal que je vous ai fait. Vous êtes la maîtresse du nom que vous voudrez porter. Si le mien vous est odieux; si vous préférez d'être encore pour tout le monde Caroline de Lichtfield, et de vivre chez votre père, j'obtiendrai facilement et de lui et du roi que le mystère de notre union soit encore prolongé. Mais si, comme il le paroît par votre lettre, il en coûtoit trop à votre âme franche et ingénue de cacher un tel secret; si vous consentez à m'avouer pour votre époux, prenez en arrivant à Berlin le nom, le titre et le rang de comtesse de Walstein. Cette légère condescendance, en satisfaisant votre père et votre roi, vous rendra peut-être encore plus libre et plus heureuse. Vous habiterez mon hôtel, ou plutôt le vôtre. [153] Vous engagerez cette tendre et respectable amie que vous ne voulez et ne devez jamais quitter, à venir l'habiter avec vous; et moi, je n'engage ici par les sermens les plus solennels, par ma parole d'honneur, à ne revenir à Berlin que lorsque vous m'y rappellerez. Heureux si vous me laissez entrevoir dans l'avenir la possibilité de notre réunion! Je me reposerai sur votre vertu, sur vos principes, sur votre générosité, et j'attendrai, non sans impatience, mais sans crainte et sans murmure, le moment où vous la fixerez. Il viendra ce moment; oui, j'ose encore l'espérer. Vous sentirez une fois le besoin d'un ami véritable; et, croyez-moi, Caroline, vous n'en trouverez jamais de plus tendre, de plus sincère qu'un époux qui vous chérit, qui veut votre bonheur, qui ne peut être heureux que lorsque vous serez vous-même heureuse et tranquille. [154] J'attendrai votre réponse avant de partir. Adressez-la à Ronebourg, chez M. le baron de
Lindorf. C'est cet ami dont je vous ai parlé, et dont je vous parlerai souvent, si vous daignez
consentir à une correspondance qui seroit une bien grande consolation pour moi. Ne craignez
rien ni du roi ni de votre père. Je saurai donner un prétexte plausible à mon voyage et à mon absence, qui sera
peut-être bien prolongée, mais jamais on n'en saura le vrai motif. Adieu, madame! Vous
approuverez sans doute l'arrangement que je vous propose . . . Hélas! ce projet est bien
différent de celui que je formai en demandant votre main! mais s'il vous rend heureuse, mon
but est également rempli." |
1 C'est la lettre de Caroline à son père. Voyez[, Volume I], page 142.