[Une interruption: la valeur d'être le second objet de l'attachement, Volume III, pp. 116 - 119] [116] Ici le comte s'approcha de Lindorf, et lui dit en riant quelques mots à l'oreille, auxquels il répondit sur le même ton. Les dames, et surtout Matilde, vouloient savoir ce que c'étoit. -- Vous le saurez, je vous le promets; mais, chère Matilde, achevez votre histoire: vous en étiez à la tendre amitié de mademoiselle de Manteul. Jamais, peut-être, reprit Matilde avec feu, il n'en fut de pareille. A voir [117] le vif intétêt qu'elle mettoit dans nos entretiens, à son empressement, à son zèle, on eût dit que c'étoit elle qui me confioit le secret de son coeur, et qu'il s'agissoit de son propre bonheur: elle animoit, elle soutenoit mon courage. Une fille de vingt-cinq ans pouvoit-elle se tromper? Je me serois peut-être défiée de moi-même; mais autorisée par une raison de vingt-cinq ans, je crus n'avoir rien à me reprocher. Je persistai donc plus que jamais dans mes projets de résistance, et j'attendois avec impatience, mais sans effroi, la réponse de Lindorf, sûre qu'il me diroit au moins la vérité. Si je n'étois plus aimée, j'avois pris mon parti. -- Qu'auriez-vous donc fait, demanda Caroline avec vivacité? -- Tous mes efforts pour l'oublier aussi, mais en même temps le voeu de ne point me marier, de ne plus me fier du tout à ce sexe perfide: je n'ai jamais compris qu'on pût aimer deux fois. Ce mot, dit bien innocemment, [118] porta une atteinte douloureuse au coeur de la sensible Caroline; elle rougit excessivement, baissa ses beaux yeux, les revela à demi sur son époux, et les baissa de nouveau. Il vit ce charmant embarras; il en jouit un instant avec délices, baisa tendrement la main de Caroline; puis s'adressant à Lindorf: -- Mon ami, lui dit-il, vous approuvez sans doute la façcon de pense de Matilde, et peut-être avez-vous raison: mais chacun a la sienne; et pour moi, je crois qu'il n'y a rien de plus doux, de plus flatteur, que d'être le second objet de l'attachement d'une femme délicate et sensible. Je compterois mille fois plus sur la durée de cet attachement que sur celle d'un coeur qui n'auroit pas appris à se défier de lui- même. -- Comment, s'écria Matilde, c'est mon frère qui prêche l'inconstance? -- Je ne donne pas ce nom à une seconde inclination, et je n'en permets que deux; pas davantage! -- Oh! non sûrement, [119] pas davantage, dit Caroline à demi-voix, en pressant contre con coeur la main du comte. |